L’intensification agricole n’est pas une solution miracle pour le développement durable

June 14, 2018 - Categorised in: -

Communiqué de presse

Une nouvelle étude fait apparaître que les impacts sociaux et écologiques de l’intensification accrue des pratiques agricoles ne sont pas aussi positifs qu’attendus.

L’étude, à laquelle a contribué un chercheur de l’Université Catholique de Lille, est la première à synthétiser les connaissances actuelles sur la manière dont l’intensification agricole affecte en même temps l’environnement et le bien-être humain dans les pays du Sud (pays à revenu faible et intermédiaire).

Au sein de la communauté scientifique et du monde politique, l’intensification durable de l’agriculture est souvent perçue comme la réponse aux grands défis sociaux et environnementaux du XXIe siècle – comme l’élimination de la faim dans le monde et la préservation de la biodiversité et des écosystèmes – tels que repris dans les Objectifs de Développement Durable (ODD) et l’accord de Paris sur le climat.

Cependant, peu de recherches existent sur les conditions nécessaires à des solutions qui seraient bénéfiques à la fois pour l’environnement et pour le bien-être humain. Pour tenter de combler ce manque de connaissances, l’équipe internationale de recherche (Danemark, France, Royaume-Uni, Espagne) a décortiqué plus de 50 études scientifiques qui étudient les impacts conjoints de l’intensification agricole sur la biodiversité (y compris sur les ‘services écosystémiques’ produits par celle-ci) et sur le bien-être humain.

Les auteurs constatent que l’intensification agricole (définie comme des activités visant à accroître la productivité ou la rentabilité d’un territoire donné) mène rarement à des bénéfices conjoints pour la biodiversité et pour le bien-être humain.

Publiant leurs résultats dans la revue Nature Sustainability, ils soulignent que l’intensification ne peut être considérée comme une solution miracle pour atteindre des résultats socio-écologiques positifs. L’étude montre que seule une minorité d’études existantes fournissent des preuves de résultats « win-win » ; et que mêmes ces rares cas « win-win » tendent à omettre les effets négatifs sur des fonctions écologiques fondamentales tels que la formation des sols et la régulation de l’eau.

« Nous avons trop peu de preuves permettant de soutenir l’espoir porté actuellement par l’intensification agricole. En revanche, nous constatons que les impacts négatifs sont courants. Nous observons également que la diminution de la biodiversité et la dégradation des conditions de vie, en particulier lorsqu’il s’agit de sécurité alimentaire, ont tendance à aller de pair » commente le Dr Brendan Coolsaet, coauteur de l’étude et Maître de Conférence à ESPOL, l’École Européenne de Sciences Politiques et Sociales de l’Université Catholique de Lille.

Le professeur Adrian Martin, responsable de l’étude à l’Université d’East Anglia (Royaume-Uni) ajoute : « Bien que l’intensification agricole soit souvent considérée comme le pivot de la sécurité alimentaire, elle nuit souvent aux conditions nécessaires au maintien d’une production alimentaire stable et à long terme, prenant en compte la biodiversité, la formation des sols et la régulation de l’eau, par exemple. »

Les chercheurs constatent également qu’il est important d’examiner la manière dont l’intensification est introduite ; par exemple si celle-ci est initiée par les agriculteurs eux-mêmes ou si elle leur est imposée. Le changement de pratiques agricoles est souvent induit ou imposé à des populations vulnérables qui manquent de moyens financiers et fonciers pour en tirer profit. Les petits exploitants, dans les cas étudiés, ont souvent du mal à passer d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale. Des solutions adaptées aux défis spécifiques de ces populations font souvent défaut dans les politiques actuelles.

A ceci s’ajoute une répartition inégale des impacts de l’intensification au sein de la population, favorisant des individus plus aisés au détriment des plus pauvres. Par exemple, une étude au Bangladesh a montré que l’intensification rapide de l’élevage de crevettes d’eau salée permet aux investisseurs externes et aux grands propriétaires d’engranger des profits plus élevés. Les exploitants les plus pauvres, eux, subissent les conséquences environnementales de cette intensification (comme la dégradation de leurs terres), ce qui affecte leurs moyens de subsistance à long terme.

Le professeur Martin : « Ce sont des leçons importantes auxquelles les décideurs politiques et les professionnels du développement peuvent répondre en modérant leurs attentes concernant les résultats de l’intensification agricole et en œuvrant à des politiques améliorées ou alternatives. »

« Si nous voulons parvenir à une intensification durable des terres agricoles, nous avons clairement besoin de nouvelles approches. Cela doit impliquer la mise en pratique de ce que nous connaissons déjà, mais aussi combler des lacunes de connaissances considérables. »

Le Dr Coolsaet souligne que « l’importance donnée à l’intensification agricole dans les politiques de développement vient en partie de la manière dont l’intensification est étudiée au sein de la communauté scientifique. Les études sur l’intensification durable se focalisent souvent sur des mesures susceptibles d’être positives, comme la production agricole et le revenu des ménages. Quand on prend en compte d’autres aspects, comme les effets sur la qualité des sols ou la répartition des richesses par exemple, les bénéfices sont beaucoup moins évidents ».

« Les futurs efforts de recherche doivent examiner comment la biodiversité et les services écosystémiques autres que la production alimentaire, ainsi que les aspects de bien-être autres que le revenu, peuvent être incorporés dans les évaluations socio-écologiques de l’intensification agricole. »

 

L’étude « Social-ecological outcomes of agricultural intensification », de Laura Vang Rasmussen, Brendan Coolsaet, Adrian Martin, Ole Mertz, Unai Pascual, Esteve Corbera, Neil Dawson, Janet A Fisher, Phil Franks, et Casey M Ryan, est publiée dans Nature Sustainability le 14 Juin 2018.

 

Informations

  1. Pour plus d’informations et des demandes d’interviews, merci de contacter le Dr Brendan Coolsaet: brendan.coolsaet@univ-catholille.fr
  2. Un exemplaire sous-embargo de la publication ‘Social-ecological outcomes of agricultural intensification’ peut vous être envoyé sur simple demande auprès de la Direction Relations Internationales & Communication de l’Université Catholique de Lille : brivot@univ-catholille.fr

 

Photo credit: Jialiang Gao, www.peace-on-earth.org, CC BY-SA 3.0

Comments are closed here.